Depuis plus de deux ans, les cas de “forces majeurs” se bousculent à nos portes : Covid-19, tension sur les masques et autres matériels/médicaments de première nécessité, guerre en Ukraine, processus d’élections perturbés… et un gouvernement qui donne une impression, au moins médiatiquement, de naviguer à vue jouant les pompiers de service face à ces actualités brûlantes au jour le jour…

Que se passe-t-il pour que l’on ait ce sentiment grandissant d’instabilité ? Est-ce le résultat d’une société entrant dans une ère de grand basculement, comme beaucoup d’autres périodes charnières vécues dans l’histoire de l’humanité, où le progrès et la révolution technologique s’accélèrent à une vitesse inégalée ; mais où tout autre aspect fondamental de la société comme les valeurs morales, les pratiques politiques, le système de redistribution de richesses, la culture, l’éducation, les meurs, etc., ne restent guère inchangé ?
Et si l’on avait une baguette magique pour faire marche arrière sur la trajectoire empruntée ces dernières décennies, serait-il possible de choisir une autre voie qui nous permettrait d’atterrir en cette année 2022 avec plus de douceur ?

Je ne suis pas une spécialiste politique et ne prétend pas posséder une vision clairvoyante ou académique sur le sujet mais, riche d’une double culture franco-chinoise et en prise directe, concrète et quotidienne avec la vie des deux côtés, j’aimerais vous faire partager, dans cet article, mon point de vue à propos de l’état actuel dans lequel on vit avec un angle d’approche assez singulier.

Commençons par la fin, au début de l’an 2020, quand la France a découvert soudainement la pandémie du Covid-19, puis, dans la foulée, une pénurie cruelle du stock de masques et une dépendance flagrante auprès de la Chine pour les actifs de certains médicaments de première nécessité. Mais comment arrive-t-on à cette fragilité embarrassante ? L’une des raisons est sans doute que, depuis déjà un certain temps, les gouvernements successifs pensaient que la constitution d’un stock conséquent de masques n’était ni nécessaire, ni stratégique, et qu’il fallait avant tout diminuer les dépenses de santé publique, même si cette décision s’avère être une erreur de jugement aujourd’hui, et que l’État devait fonctionner économiquement comme une entreprise privée efficace, plus rentable, quitte à sous-traiter (délocaliser) une partie de ses activités dites non essentielles… Et cette logique d’orientation étant elle-même, le résultat d’autres réactions engagées précédemment par rapport aux besoins politiques et aux actualités chaudes à un instant donné dans le passé… En bref, une succession de réactions/actions à très court terme a été menée durant des années.

Plus concrètement, à part la participation active de la construction du marché économique commun européen depuis le Traité de Rome, quel autre projet structurant, bâtisseur et d’envergure connaissons-nous pour le pays ? Existe-t-il un schéma politique global, stratégique, sage et sur le long terme lequel possède les véritables vertus et pouvoirs pour préserver la prospérité à l’avenir, tout en évitant les pires risques de notre société ?

Il me semble que non ! Au contraire, nous vivons aujourd’hui dans une société extrêmement influencée, notamment par différentes puissances médiatiques qui conduisent inévitablement nos leaders vers un style de gouvernance de plus en plus spectaculaire, fragmenté et à court terme. L’opération de communication sur l’engagement et les actions à mener par nos élus devient, en soi, un sujet prédominant et elle doit être réduite le plus souvent en un slogan marketing, quelques images sensationnelles et un bon storytelling afin d’être percutante, donc efficace. Je me souviens particulièrement de ce buzz médiatique en 2021 à propos des deux youtubeurs (NDLR : McFly et Carlito) qui avaient invité le Président de la République à participer à l’un de leurs divertissements, sous les projecteurs et au sein même du Palais de l’Élysée… La majorité des médias français avait qualifié cet évènement d’opération de communication auprès des jeunes, très réussie pour le Président.

Je cherche à comprendre cette absence relative de décisions politiques sur le temps long en France, et pense que le phénomène réside probablement dans l’essence même du système démocratique français moderne : oui, le mécanisme en place est excellent pour libérer les énergies de tous parmi nous ; oui, il est assez bon pour faire progresser, réguler et coordonner les différentes revendications des parties prenantes de la société dans une période de paix et prospère, et tout fonctionne dans un cadre global de plus en plus européen… Mais, ce modèle semble avoir un défaut indéniable à l’égard de la vision et de la volonté politique à long terme, de la planification étatique forte et de la capacité de mobilisation autour d’une grande cause nationale.

Peut-être qu’en France ou plus largement dans les pays occidentaux, nous croyons dur comme fer que la vie d’une société n’est saine que lorsqu’elle est soumise à une autorégulation par les rapports de force et les négociations incessantes entre les différents protagonistes. Excepté en matière de protection des populations les plus démunies (personnes en situation de handicap, minorités, malades, sans-abris, enfants, personnes âgées, etc.) et de garantie de la sécurité physique et du revenu minimum des citoyens et de la Nation, un gouvernement n’a pas besoin d’interventions volontaristes, fortes et planifiées…

Mais un pays n’a pas la même approche du monde que nous, et la scène d’une rencontre avec effet médiatique entre les deux influenceurs d’un média social et l’autorité suprême du pays n’aurait jamais eu lieu. Ce pays est la Chine dont la plus grande singularité est d’être piloté par un gouvernement central autoritaire et muni de ses plans quinquennaux emblématiques successifs, en tout 14 depuis 1953.

En effet, en Chine, toutes les grandes orientations stratégiques et les directives à l’égard du développement du pays sont toujours très clairement réfléchies, explicitées, organisées et tracées, avec les différents niveaux d’exécution et de responsabilité, dans ses plans quinquennaux désignés par le pouvoir central. Même si lors de la mise en œuvre opérationnelle certains dirigeants disposent d’une certaine liberté quant à leurs manières d’exécution, l’objectif premier de ces leaders chinois n’a jamais été dévié au fil du temps. Leur ligne conductrice et leur phare à l’horizon restent intacts : construire une Nation riche, puissante et moderne qui comptera parmi les pays les plus puissants du monde.

Il est intéressant de faire une comparaison concrète à présent sur les stratégies et les moyens opérationnels adoptés respectivement par le gouvernement chinois et le nôtre à l’égard de la gestion de la pandémie du Covid-19 : tout le monde sait que, dès l’apparition du virus, la Chine a prôné avec constance sa stratégie de la “tolérance zéro” visant à éliminer radicalement sa propagation. Je ne veux absolument pas faire l’éloge sur cette méthode dure et chère (elle est en réalité une décision de non-choix pour ce pays ayant une population extrêmement importante et dense où le système de santé publique n’est pas du tout homogène d’une province à une autre et dont la majorité n’ont pas la capacité d’absorber un afflux de patients sévèrement atteints). Mais là où je voudrais en venir, c’est que la stratégie de la “tolérance zéro” est dans sa pratique très difficile à réaliser : comment se fait-il que le gouvernement chinois a finalement assez bien réussi à tracer et gérer efficacement le pays ? La preuve étant que ce dernier a été le premier au monde à relancer presque 100 % de ses activités économiques dès le 3ème trimestre 2020, avec un virus étant largement éradiqué.

Je pense qu’il y a trois raisons principales : hormis une plus grande sensibilité et habitude d’autoprotection de la population chinoise face aux catastrophes naturelles, très fréquentes dans ce pays, la planification étatique à long terme et la capacité à mobiliser à tous les niveaux de la société pour une cause commune nationale du gouvernement sont déterminantes, avec l’appui du pouvoir, sans partage et disposant de moyens financiers conséquents. En réalité, depuis l’épidémie du SARS de 2002-2003, la construction d’un écosystème de soins, de gestion et d’alertes de multiniveaux (nationaux, régionaux et locaux) pour lutter contre ce type d’agression virale dans le futur a été ordonnée par l’État chinois. Aujourd’hui, ce système, déjà bien développé et enrichi au fil des ans, cadré par un plan intégral bien réfléchi et maintenu dans le temps, aidé aussi par d’autres technologies modernes développées sous l’élan des masterplans récents et d’investissements massifs de l’État comme le Big Data, la 5G, l’IA, etc., est devenu un outil technique et administratif efficace pour soutenir la stratégie de la “tolérance zéro” du gouvernement chinois dans sa lutte contre le Covid-19.

Alors, quelle conclusion puis-je tirer après toutes ces observations et réflexions ?

J’ai choisi la France par amour pour son histoire, sa culture, son peuple et ses valeurs, et je vis et m’intègre très bien dans la société française. Néanmoins, un leadership basé essentiellement sur des actions successives pensées à court terme m’interpelle. Ces actions rapides et médiatiques sont sans doute nécessaires pour régler des urgences, mais il me semble que cela ne peut pas remplacer les efforts de nos dirigeants dans la consolidation et la construction de nos valeurs à long terme, de la vision et de la fondation de notre culture et notre société future, où vivront non seulement notre génération, mais également celle de nos enfants et petits-enfants.

Ne voulant pas fermer les yeux sur les aspects négatifs du pouvoir chinois en place, ce peuple nourri par une civilisation millénaire, toujours vivante et vivace, qui a permis à son pays, en seulement 40 ans, de redevenir une grande puissance mondiale devrait, nous donner quelques inspirations. Par ailleurs, la pensée antique chinoise respecte profondément la diversité, le multilatéralisme et l’harmonie de l’univers ; quoi que l’on puisse penser, sa profondeur et sa sagesse affinée par l’Histoire contribueront sans aucun doute et positivement à la réussite de notre humanité entière à l’avenir.
Pour finir, je reviens sur une question très simple mais difficile à trancher : pour que nos propres valeurs morales, humanistes et démocratiques soient enfin entendues, comprises et respectées dans ce monde, ne devrions-nous pas d’abord être disciplinés, forts en économie, politique et surtout avoir une vision à plus long terme ?

Sophie Zhou Goulvestre